Infra-visuel – La vie-matériel

INFRA-VISUEL ?

La diversité de la création contemporaine, la variété des mediums employés et leurs assemblages pourraient laisser croire à la disparition de l’approche morphologique dénoncée par Kosuth. Au contraire, la nécessite d’inventer le terme d’infra-visuel prouve que cette morphologie n’a pas disparu mais s’est simplement déplacée en se dissimulant derrière une apparence ouverte mais formaliste.

L’incapacité de se défaire du rétinien et de l’opticité est ici la problématique centrale, tendant à réduire l’art, à le fondre même, à l’idée de visuel. Un rapide tour d'horizon des institutions, galeries et autres artistes les plus en vue, semble appuyer la théorique que l’art contemporain valorise avant tout la production d'images, quels que soit le médium choisi. Pareillement, quel que soit la thématique abordée les pratiques artistiques semblent être un alambic aboutissant à la création de formes visuelles. Par conséquent les autres types de démarches et de proposition sont souvent déconsidérés.

L’artiste est ainsi vu comme producteur de ce que je nomme une image-objet. L’image-objet est le résultat d’ajustements de propriétés plastiques jusqu’à l’obtention d’un bien destiné à être vu. L’image-objet sera dénommé art grâce aux valeurs de fétichisations et de potentielles marchandisations qui lui sont conférés. Cette image-objet sera évidemment destinée à être exposée et donc contemplée, ou du moins vue. La morphologie que je critique ici est donc plus générale : elle concerne un type d'actions artistiques visant de façon systématique la création de formes esthetico-visuelles.

L’infra-visuel tente de sortir de la collusion entre les termes « art contemporain » et « art visuel ». L’art infra-visuel regroupe des pratiques pour qui l’aboutissement de l’œuvre et de la démarche artistique ne repose pas uniquement sur la présentation d’une forme à regarder. Si le résultat visuel n’est pas proscrit il n’est pas pour autant la seule finalité. Il est ainsi essentiel de faire une franche différence entre le visuel (qui s’adresse à la vue, qui est pensé pour la vue avant tout) et le visible (ce qui peut être perçu par la vue). L’art infra-visuel n’est donc pas forcément un art invisible. Il tend simplement à neutraliser le visuel et à ne pas en faire son vecteur principal et l’épine dorsale de ses créations.

L’infra-visuel se veut davantage un complément qu’une nouvelle façon absolue de mener une pratique artistique en désirant faire table rase de la situation actuelle. En effet le type de démarches recouvert par le terme infra-visuel permet de convoquer des pratiques qui existent déjà depuis de nombreuses décennies. Mais il s’agit de pratiques généralement marginalisées ou déconsidérées car plus délicates à appréhender et à communiquer : elles sont en effet protéiformes et manquaient jusqu’alors d’un terme servant à les regrouper. L'infra-visuel valorise avant tout la liberté de l'artiste à choisir les moyens qu'il juge les plus pertinent pour réaliser sa pratique et poursuivre ses investigations.